J’ai décidé de m’aventurer un peu plus loin de l’endroit où j’ai repris conscience. Où du moins, devrais-je dire, là où je me suis littéralement réveillée car je n’ai toujours aucun souvenir du pourquoi du comment j’en suis arrivée là. Il n’y a pas de conscience qui tienne, puisque pour le coup, je n’étais consciente d’absolument rien. Enfin.
Je déambule dans les rues, entre les murs tous aussi gris les uns que les autres. Il n’y a pas âme qui vive ici, pas un signe de vie, rien. La tension augmente d’un cran, moi qui pensais trouver de l’aide dans cette ville, voilà que je m’aperçois qu’il s’agit d’une ville fantôme ! Je ne crois pas avoir peur des fantômes, il faut dire que je n’en ai jamais vu -en tout cas depuis mon éveil- je ne peux donc affirmer le contraire. Mais on ne sait jamais…
Je marche pendant quelques minutes qui me paraissent des heures et je me rends compte que j’ai soif. Je n’ai croisé aucun cours d’eau, aucun puit, aucune bouteille d’eau sauvage. Là, c’est flippant ! Genre, vraiment ! Si je n’ai pas d’eau, je vais mourir et ça va être atroce ! Ma gorge est sèche, ma bouche pâteuse. Je vais devoir faire quelque chose, me poser et réfléchir sérieusement avant d’aller explorer cet endroit de l’enfer.

Soudain, une lueur d’espoir. Après un bon moment à marcher dans ce labyrinthe grisonnant, j’aperçois quelque chose sur un mur qui ne se trouve sur aucun autre. En m’approchant, je distingue une phrase. “The past does not exist”. Le passé n’existe pas. Ça veut dire quoi, ça, encore ? J’ai bien remarqué que mon passé n’existait pas, puisque je n’ai aucun souvenir de moi avant d’être ici ! Ce que les gens peuvent être cons.... les gens ! Mais oui, c’est forcément quelqu’un d’humain qui a gravé cette phrase ! Je me retourne, observant au loin dans l’espoir de trouver le débile qui a fait ça, mais comme je m’en doutais, il a déjà dû fuir au loin.
Tout à coup, j’entends un soupir. Un soupir qui me donne la chair de poule car je n’ai pas réellement pu deviner l’endroit d’où il provenait.

« Il y a quelqu’un ? Ou, quelque chose … ? »

Je n’ai aucune arme pour me défendre en cas d’attaque, je suis vraiment mal barrée. Finalement, peut-être bien que j’ai peur des fantômes bailleurs...

Je suis soulagée, il n'y a aucun fantôme ici ! En tout cas, ce n'est pas maintenant que je vais en rencontrer un. C'est une autre personne qui surgit de derrière un mur. La troisième que je rencontre depuis que j'ai ouvert les yeux dans ce monde étrange et morbide. C'est un homme, cette fois, je ne peux m'empêcher de le détailler rapidement. Il semble aussi paumé qu'Abbadon et Calypso. Aussi paumé que moi. A croire qu'on l'est tous ici. Enfin, tous, peut-être qu'on est que quatre dans cette ville grise. Peut-être beaucoup plus, mais alors je me demande où peut bien se cacher la population. Et de quoi ils vivent, sans eau ni nourriture ? Encore des questions...
L'inconnu n'ose pas trop s'approcher de moi et bizarrement, je peux le comprendre. Après tout, même si nous nous retrouvons dans la même galère, ça n'empêche pas de tomber sur des psychopathes potentiels ! Cependant, il reste poli et me dit bonjour. Je lui réponds par un sourire, ravie de rencontrer quelqu'un de nouveau.

« Bonjour ! »

Ma voix se veut enjouée, mais j'ai la gorge sèche alors ce bonjour pseudo-jovial ressort très rauque. J'aimerais lui poser des questions, où sommes nous ? Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Pourquoi on ne sait plus rien de nous-mêmes ? Est-ce qu'il a de quoi boire ou manger ? Toutefois, je sais qu'il ne saura y répondre. Personne n'a pu y répondre jusqu'à présent et je ne pense pas rencontrer quelqu'un qui pourra le faire avant un très long moment.
Tant pis, je vais me contenter du strict minimum.

« Je m'appelle Nova. Et toi ? Tu es réveillé depuis longtemps ? »

Quitte à parler, autant aborder un sujet que l'on connait tous les deux, à savoir nos prénoms. Ce sera plus simple, si on doit faire un bout de chemin ensemble.

L'inconnu m'apprend qu'il s'appelle Sam et qu'il s'est réveillé quelques minutes plus tôt. Il doit être bourré de questions lui aussi, les questions simples du réveil. Où suis-je ? Qui suis-je ? Quel est cet endroit ? Pourquoi je ne me souviens de rien ? Est-ce que je suis mort ? Une fois les yeux et l'esprit ouverts, on se rend compte qu'il y a des interrogations bien pires. Dans cet environnement aussi lisse et gris, comment se nourrir ? Où trouver de l'eau ? Comment vais-je survivre lors de la première nuit ? Est-ce qu'il y a d'autres gens ici ?
Autant les premières pensées sont déstabilisantes, autant celles qui suivent sont absolument terrifiantes. Et j'en suis rendue à ce stade, sans parler de cette inscription sur le mur qui ne fait qu'augmenter la population de points d'interrogations logeant dans ma tête.
D'ailleurs, il commence à me poser sa première question. La toute première d'une longue liste. « Et.... Est-ce que toi aussi tu t’es réveillé ici, perdue et sans mémoire ? » Il me semble important de lui répondre le plus honnêtement du monde. Je ne suis pas rassurée mais j'ai étrangement un sentiment de confiance en mon interlocuteur. Certainement parce qu'il est comme moi et qu'il n'a pas tant l'air d'un psychopathe.

« Oui. Ca fait une heure, peut-être un peu plus. Je n'ai pas la notion du temps ici... Je ne me souviens de rien, pas même de la façon dont je suis arrivée là. Je ne sais que mon prénom. Tu n'as rencontré personne d'autre, j'imagine ? Sache qu'on n'est pas seuls, j'ai rencontré deux autres femmes avant toi, dont une qui est complètement déshydratée, je suis partie en ville pour chercher de l'eau... »

J'espère que je ne lui ai pas fait peur en soulevant ce point de l'hydratation. Il doit avoir soif, lui aussi, comme Calypso, comme moi. Je suis navrée de lui apprendre qu'il ne boira pas avant un moment... En tout cas, pas grâce à moi, même avec toute la bonne volonté du monde.

Je suis sa première rencontre. Je n’ai aucune réponse à lui apporter et réciproquement. D’ailleurs, il n’a pas soulevé la question de l’eau. J’imagine qu’il n’en est pas encore vraiment rendu à ce stade, et pourtant, au bout de quelques heures, je commence à ressentir la soif. Il tiendra peut-être mieux que moi, qui sait ? C’est bien tout ce que je lui souhaite.
Sam me propose ensuite de m’aider. A quoi faire ? Je n’en ai aucune idée moi-même. On pourrait chercher de l’eau, de la nourriture, d’autres personnes, un abri… Ou simplement se tenir compagnie. Je n’y vois pas d’inconvénient, il m’a prouvé qu’il n’était pas un fantôme après tout. Mais je dois tout de même faire attention, une part de moi reste méfiante.

« Et bien, on pourrait arpenter un peu le quartier, à la recherche d’autres personnes ? Au moins jusqu’à cette nuit. Je t’avoue que je n’ai pas encore passé une seule nuit ici et je ne te cache pas que ça ne m’enchante pas trop. »

C’est venu tel quel. Jusqu’à cet instant, je n’avais pas encore songé à la nuit qui allait tomber. Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, le soleil est encore très haut dans le ciel, il doit être midi, quelque chose comme ça. Je n’en sais foutrement rien. L’idée de le voir se coucher me fait tressaillir. Qui sait ce qui se cache dans les ténèbres ici ? Je commence à partir loin dans mes pensées, à me dire que peut-être que nous sommes dans un monde inversé, où les habitants de cette ville désertique ne s’animent que lorsque le jour n’existe plus. N’importe quoi. Je secoue imperceptiblement la tête afin de chasser ces idées loufoques. Le soleil doit me taper un peu trop sur le cerveau.
Je fais un pas en avant et regarde ma nouvelle rencontre, l’air interrogateur.

« Tu viens ? »

Il faut vraiment qu'on se bouge, je me rends compte que je ne supporte pas de rester sans rien faire.

Je n'ai vraiment pas envie de passer la première nuit seule ici. Je n'ai déjà aucune envie d'être là de base, qu'il fasse jour ou non. Enfin bon, je ne sais même pas où je voudrais être. Où je devrais être. Parce qu'il faut bien que je sorte de quelque part, je dois bien avoir de la famille, des amis. Des gens qui m'attendent, bien que je ne les regrette pas, faute de les connaître. Ou du moins, de me souvenir d'eux. Toujours est-il que l'assombrissement à venir du ciel m'effraie et je suis bien contente que Sam acquiesce lorsque je lui demande de rester avec moi. A deux, nous sommes plus forts en cas de danger. Toutefois, j'espère que ce n'est pas lui le danger de la nuit et qu'il ne me sautera pas dessus dans mon sommeil -si j'arrive à dormir- pour m'étrangler.
Je propose alors d'arpenter la ville à la recherche d'autres personnes, lorsqu'il s'arrête devant la fameuse inscription au mur. Je l'avais presque oubliée, celle-là, tant j'étais absorbée par ma nouvelle rencontre.

« Hum… C’est toi qui as écrit ça ? … »

Je suis quelque peu étonnée de sa question mais après tout, elle est tout à fait légitime. J'aurais très bien pu être l'auteure de ce tag, malgré le manque de moyens évident de peinture ou autre marqueur.

« Non. C'était justement ce que j'étais en train de regarder quand je t'ai entendu. Ce qui est étrange, c'est que tous les murs de ce quartier sont les mêmes. Tous aussi gris les uns que les autres, sauf celui-là. Et encore plus bizarre, c'est écrit que le passé n'existe pas et comme par hasard, personne ne se souvient de son passé. »

Je m'arrête de parler, songeuse. Tout cela ressemble à un immense coup monté, à échelle humaine. Planétaire, peut-être ? Enfin, qu'est-ce que j'en sais ? Je ne me souviens pas du monde d'avant, j'ai quelques réflexes naturels comme savoir que je dois tenir sur mes deux jambes ou encore comprendre que cet endroit manque d'animaux et autres êtres vivants, mais c'est tout. Je me souviens de la vie en société et pourtant je suis incapable de me souvenirs des visages que j'ai pu rencontrer jusqu'à présent. J'ai vraiment l'impression d'être née il y a quelques heures et que je n'ai pas eu de vie jusqu'alors. L'angoisse.